10 jours en AlgĂ©rie 🔆​

Alger

 
L'ultime et dĂ©cisif dĂ©clic a eu lieu dans une cabane Ă  sucre quelque part au Canada. J’Ă©tais attablĂ©e Ă  cĂ´tĂ© d’une quĂ©bĂ©coise qui en vient Ă  me poser des questions sur mes origines et comme d’habitude, je rĂ©ponds de manière laconique : je ne souhaite pas m’attarder sur le sujet car je n’ai rien Ă  en dire. La quĂ©bĂ©coise me rĂ©pond avec enthousiasme qu’elle-mĂŞme est d’origine tunisienne par son père, et Ă  mon Ă©tonnement, revient sans cesse sur le sujet. Plus tard Ă  l’extĂ©rieur de la cabane nous nous dirigeons vers un homme qui prĂ©pare des tires d’Ă©rable sur la neige (sortes de dĂ©licieuses sucettes au sirop d’Ă©rable), et elle me prĂ©sente de façon théâtrale :
 
- Elsa...la France et l’AlgĂ©rie ! 
 
Son attitude m’embarrasse, mais ce qui me fait rĂ©flĂ©chir surtout, c’est la mienne. En ce temps lĂ , je ne suis pas Ă  l’aise au sujet de l’AlgĂ©rie car je n’en connais pas grand chose. D’abord, je n’aime mĂŞme pas cette expression « d’origines », comme s’il Ă©tait question de fruits et lĂ©gumes. Je ne suis pas une grappe de tomates cerises provenance non U.E et je trouve le terme rĂ©ducteur : une identitĂ© pour moi, c’est beaucoup plus complexe qu’une « origine ». Je ne suis pas seulement « d’origine algĂ©rienne », car je suis moitiĂ©-moitiĂ© : ma famille paternelle est française, et ma mère est nĂ©e en France de parents algĂ©riens. Quand on parle d’origines, les gens s’imaginent que je ne suis pas une vraie française...et après ils prennent des prĂ©cautions en prĂ©parant les repas : Est-ce qu’Elsa mange de tout ? (c’est Ă  dire : du porc)...oui, ça part d’une bonne intention, mais ça ne colle pas Ă  ma rĂ©alitĂ©, juste Ă  leurs reprĂ©sentations. Les gens sont curieux et c’est comprĂ©hensible, mais je me suis demandĂ©e parfois pourquoi ce besoin (parfois très tĂ´t dans une rencontre) de mettre comme une Ă©tiquette de provenance sur les personnes ? Ne se disent-ils pas que le sujet viendra naturellement dans la conversation un peu plus tard, que ce n'est pas forcĂ©ment le point d'intĂ©rĂŞt principal d'une rencontre avec un ĂŞtre humain, savoir d'oĂą viennent ses ancĂŞtres ?
 
Dans les ruines romaines de Tipasa, Ă  l'ouest d'Alger
 
En tout cas, je me prends l’allĂ©gresse et la fiertĂ© tunisienne de cette quĂ©bĂ©coise en pleine poire. Moi, je ne peux pas partager ça. Et pourquoi ça devrait durer ? Il faut que j’aille en AlgĂ©rie pour voir de mes yeux ce qu’il en est vraiment, pour cesser d’ĂŞtre ignorante. Les rĂ©actions de mon entourage Ă  cette idĂ©e me confirment tous les prĂ©jugĂ©s sur ce pays : seule une collègue de travail m’approuve, sinon, tout le monde tente de me dissuader ou Ă©met des rĂ©serves. C’est trop dangereux ! Ce n’est pas le moment ! Pourtant, les conseils aux voyageurs du ministère des affaires Ă©trangères indiquent qu’Alger et Oran sont des destinations sĂ»res. Les rĂ©ticences des gens ne semblent reposer que sur des Ă©lĂ©ments flous et subjectifs. Ils projettent les problèmes de la France en AlgĂ©rie, comme s’il s’agissait de problèmes Ă©trangers plutĂ´t que de ceux de leur propre pays. Quand a eu lieu le dernier attentat Ă  Alger, est-ce que l’une de ces bonnes âmes qui craint pour ma sĂ©curitĂ© peut le dire ? C’Ă©tait sans doute moins rĂ©cent qu’Ă  Paris...oui oui je sais, ce n’est pas qu’une histoire d’attentat, c’est cette culture entière qui semble rĂ©trograde en France : la condition des femmes, le voile, l’omniprĂ©sence de la religion qui Ă  contrario est relĂ©guĂ©e Ă  l’intime et au privĂ© en France. Alors, je vais aller vĂ©rifier si c’est si terrible que ça. Si l’obscurantisme règne Ă  tous les coins de rue d’Alger, si les femmes sont malheureuses et opprimĂ©s, les gens fourbes et dangereux, si l'on va essayer de me marier ou bien de me vendre contre un chameau...etc.  
 
Rencontre avec une mouette algéroise

Je pars pour 10 jours, Ă  Alger puis Oran avec une fille que je ne connais pas, une franco-algĂ©rienne dans ma tranche d'âge qui voulait aller en AlgĂ©rie aussi et a rĂ©pondu Ă  mon annonce sur un groupe facebook. Contrairement Ă  moi, elle parle un peu arabe, et en plus nous serons hĂ©bergĂ©s Ă  Alger par les parents d’une de ses amies. Pour obtenir un visa touristique, j’ai fait deux aller-retours Ă  Bordeaux.  
 
La fameuse grande Poste d'Alger
 
Le couple qui nous hĂ©berge vient nous chercher Ă  l’aĂ©roport d’Alger. Karim et Akima ont la cinquantaine et deux grands enfants qui ne vivent plus Ă  la maison. Ils parlent un bon français usuel, mais je m’aperçois vite que mon niveau zĂ©ro en arabe est quand mĂŞme embĂŞtant. Je ne peux pas vraiment avoir de conversation aisĂ©e et spontanĂ©e avec eux. Leur premier langage, celui de leur pensĂ©e, c’est l’arabe. De plus je n’ai pas l’habitude d’essayer de me faire comprendre par des Ă©trangers, je me rends compte que j’utilise des expressions, des euphĂ©mismes et de l’ironie alors qu’il faudrait que j’adopte un langage standard, plus « scolaire ». Mais comment faire passer ses idĂ©es sans utiliser ses propres mots ? Un soir en rentrant je dis Ă  Akima que j’ai un coup de barre, elle ne comprend pas l’expression. Je corrige en disant que je suis fatiguĂ©e : elle comprend, mais ce n’est pas vraiment ce que je voulais dire. C’est juste un coup de barre : c’est plus temporaire, moins dramatique et ça sous-entend que la journĂ©e a Ă©tĂ© chargĂ©e et intĂ©ressante...bon, pas grave. En AlgĂ©rie les gens sont très protecteurs, prĂ©venants et serviables, et Karim et Akima en sont l'exemple. A la sortie de l’aĂ©roport Karim veut porter mon sac. Akima nous fait Ă  manger matins et soirs, me demande ce que je souhaiterais comme recettes...ce qui est touchant chez ces gens, c'est leur volontĂ© de partager vraiment. Leurs connaissances, leur culture, tout ce qui peut m'aider.
 
Basilique Notre Dame d'Afrique, Alger
 
Le couple dĂ©cide de nous emmener faire du thĂ© au charbon près d’un lac dans quelques jours. Nous acceptons de modifier notre petit programme en ce sens. Le jour de la sortie, il pleut, il vente, c’est une catastrophe. « Ils ne vont pas nous y emmener avec ce temps quand mĂŞme... ». Si ! Avec mĂ©thode et obstination, Karim conduit dans les virages brumeux des gorges de la Chiffa. « Le paysage est magnifique par temps dĂ©gagĂ© ! » Nous dit-il tandis qu’arrivĂ©s en haut, nous contemplons une mer de brouillard. Le couple est visiblement déçu, sans doute plus que moi qui trouve cette sortie Ă©pique et cocasse. Mais ils ne perdent pas leur humour pour autant : « Il faut imaginer ! » 
Nous croisons des singes mĂ©lancoliques et trempĂ©s sur un pont : c’est la première fois que je vois des singes en libertĂ©. Nous nous arrĂŞtons et tentons de les appâter avec des bonbons dont ils ne veulent pas. 
 
Au ruisseau des singes, Blida
 
Un soir, Karim se dĂ©mène pour mettre sur la tĂ©lĂ© la vidĂ©o du mariage de sa fille, qui est sur une clĂ© usb. Le son ne suit pas, ou bien arrive sans l’image. Finalement, nous parvenons Ă  voir cette fĂŞte incroyable de 700 personnes oĂą la mariĂ©e porta cinq robes diffĂ©rentes en une soirĂ©e. « En France les mariages, c’est plus simple ! » me dit Karim. Ah oui, on peut dire ça. La tenue des femmes est plus sobre qu'en Europe dans la vie quotidienne, mais pendant les mariages, quel faste ! Je vois que certaines invitĂ©es aussi changent plusieurs fois de tenue. L'importance donnĂ©e a cet Ă©vènement est au-delĂ  des mots. D'ailleurs en ville, il y a des boutiques spĂ©cialisĂ©es dans l'organisation de mariage et autres fĂŞtes qui croulent sous les corbeilles de mariĂ©es, dĂ©corations et boĂ®tes en papiers de toutes sortes. 

Le thé à la menthe chauffé au charbon chez Akima
 
Parmi les invitĂ©es qui dansent il y a des jeunes femmes Ă  la peau claire, et mĂŞme une jeune fille rousse. Ma compagne de voyage pose une question Ă  son sujet, Akima nous rĂ©pond qu'elle est kabyle. Avec ma peau mate, mes cheveux et mes yeux bruns, je correspond Ă  peu près au physique typique du Maghreb qu’on a en tĂŞte en France. L’ironie, c’est que je fais plus maghrĂ©bine que certains algĂ©riens qui pourraient passer pour français chez moi. 
 
Dans la casbah
 
Notre guide dans la casbah par exemple, s’appelle Massi, c’est un jeune architecte. Avec sa mine de poupon et ses yeux verts, je le vois aussi bien s’appeler Antoine. OrganisĂ©, Ă©rudit, il nous parle de la ville en nous montrant Ă  l’appui des photos anciennes sur sa tablette. « Ici les français ont construits un quartier europĂ©en sur un cimetière datant de l’Ă©poque romaine, lĂ  ils ont rasĂ© des mosquĂ©es et des maisons pour faire des amĂ©nagements... » les propos de Massi sont objectifs, son ton est neutre, pourtant je suis quand mĂŞme lĂ©gèrement embarrassĂ©e pour mon pays. Pas parce qu'en tant que Française je me sens responsable de la colonisation, ce qui me semblerait idiot. Mais parce qu'en tant que Française je me sens quand mĂŞme reprĂ©senter quelque chose, et notamment cette histoire. Je pense que si je n'avais pas Ă©galement de cĂ´tĂ© algĂ©rien, je me sentirais moins affligĂ©e par la colonisation. Mais dans mon cas, ce qu'un camp fait Ă  l'autre, c'est une partie ou l'autre de ma famille qui l'a vĂ©cu : ce n'est pas abstrait. 
Massi poursuit « Alger a construit sa richesse grâce au commerce d’esclaves. Cette place que vous voyez lĂ , c’Ă©tait celle oĂą on vendait les esclaves. Cervantès a Ă©crit l’histoire de sa capture et de sa captivitĂ© Ă  Alger ». L'honnĂŞtetĂ© dont il fait preuve est exemplaire.
 
La casbah (la vieille ville) est un labyrinthe. Il me faudrait beaucoup de temps pour parler de tout ce que j’ai appris mais je peux au moins mentionner mon Ă©merveillement au Bastion 23, ou palais des RaĂŻs. Cet ensemble de palais de l’Ă©poque ottomane très bien conservĂ©s me fait comprendre que ce type d’habitation possĂ©dait dĂ©jĂ  tout le nĂ©cessaire bien avant l’arrivĂ©e des français, et je suis fascinĂ©e par la façon de faire orientale. De l’extĂ©rieur, les maisons de la casbah ont l’air de blocs blancs et aveugles. Il n’y a pas de balcons, pas de fenĂŞtres : la maison ici est tournĂ©e vers l’intĂ©rieur. Et Ă  l’intĂ©rieur, quel trĂ©sor ! Une organisation autour du patio carrĂ© Ă  ciel ouvert, c’est le ciel qui s’invite dans la maison. Les demeures ont leur hammam, leur wc, leur système de canalisations par pièces de terre cuite emboĂ®tĂ©es les unes aux autres et leur système d’aĂ©ration. Je suis surprise de retrouver en quantitĂ© dans la cuisine l’ardoise que j’associe Ă  l’Auvergne. Les murs sont couverts de zelliges, des carreaux de faĂŻence colorĂ©s qui gardent la fraĂ®cheur. On nous dit que les serviteurs noirs qui vivaient dans ces riches demeures venaient souvent du Mali. 
 
Patio d'un palais d'Alger
 
Massi veut nous faire goĂ»ter le keikat en passant devant une boutique : c’est une sorte de biscuit rond très ancien qui Ă©voque un peu le bretzel, lĂ©ger, et au parfum d’anis. Le pâtissier, apparemment installĂ© dans la rue depuis des lustres, refuse que nous le payions. A la fin de la visite, on essaie le haĂŻk et le djâr, une tenue traditionnelle algĂ©roise : toute une aventure...je comprends aux gestes attentifs et respectueux lorsqu’on m’enrubanne, puis en le portant, qu’il est une sorte d’enveloppe protectrice pour ce qui est prĂ©cieux. Ce n’est pas l’austère et sinistre voile qui cache et oppresse tel qu’on le perçoit en France. D’ailleurs dans les petites boutiques spĂ©cialisĂ©es qui Ă©talent leurs articles du sol au plafond, la multitude des formes, des couleurs, des motifs et des textures tend Ă  indiquer que les femmes tiennent Ă  leur voile comme Ă  une coquetterie.
 
Oui c'est moi avec le haïk et le djâr
 
Il y a une occasion en revanche oĂą on me regarde bizarrement...c’est quand je dis spontanĂ©ment bonjour aux hommes seuls et inconnus que je croise de près, comme par exemple s’il y en a qui sort de l’ascenseur quand je vais y rentrer. Ici la distance entre hommes et femmes n’est pas la mĂŞme : ce n’est pas nĂ©cessaire de saluer chaque homme inconnu qu’on croise dans l’espace public, c’est mĂŞme plutĂ´t Ă©trange. Il n’y a pas de mĂ©pris lĂ -dedans, ils ne nous ignorent pas : ils savent que nous sommes lĂ , nous savons qu’ils sont lĂ  et si nous avons besoin d’aide, ils viendront vers nous. Mais si nous n’avons besoin de rien, pas besoin de saluer. Du coup, c’est arrivĂ© deux ou trois fois avant que je ne comprenne pour de bon : je dis bonjour, le monsieur me regarde brièvement comme s’il se demandait ce que je lui veux, ne rĂ©pond pas et file...
Bon, cette histoire de salut et de distance, ce n'est que mon expĂ©rience et je n'en ai parlĂ© Ă  personne. Si ça se trouve, c'est dans ma tĂŞte. 
 
Casbah d'Alger
 
Nous visitons donc la casbah, le musĂ©e des martyrs (reconstitutions Ă©tonnantes de scènes de torture, quasi aucun dĂ©tail Ă©pargnĂ©), le musĂ©e de l’armĂ©e (les panneaux ne sont pas forcĂ©ment traduits en français et les photos interdites), la grande mosquĂ©e d’Alger (troisième mosquĂ©e du monde, plus grande d’Afrique et plus haut minaret du monde), le quartier de la grande poste, nous nous promenons sur le bord de mer. Nous faisons une excursion au mausolĂ©e royal de Mauritanie, aussi appelĂ© le tombeau de la chrĂ©tienne. Il s’agit du monumental et mystĂ©rieux tombeau de SĂ©lĂ©nĂ©e, la fille de ClĂ©opâtre et Marc-Antoine. Il date d’environ 40 avant J-C et je suis stupĂ©faite d’apprendre que les immenses croix chrĂ©tiennes gravĂ©es sur les portes ont Ă©tĂ© ajoutĂ©es Ă  posteriori. La manipulation n'a pas d'âge ! 
 
Le tombeau de la chrétienne

Et ses fameuses (fausses) portes ornées de croix de 7 mètres de haut

 
La ville de Cherchell ne me fait pas une forte impression, mais la journĂ©e se passe quand mĂŞme en compagnie d’une jeune guide. Elle rĂŞve de faire ses Ă©tudes au Canada ! Et la France ? Ça ne l’attire pas du tout, elle n'y voit pas d'opportunitĂ©s pour elle. C’Ă©tait un peu le mĂŞme son de cloche chez Massi, qui disait avoir un frère mĂ©decin en France qui se sent très seul lĂ -bas. Nous mangeons de l’espadon au restaurant le Dauphin de Tipaza. Quand on se promène en ville, personne ne nous embĂŞte. Une femme m’indique que je peux avoir des ennuis si je continue Ă  photographier ce bâtiment administratif qui avait pourtant une jolie façade. La police est plutĂ´t prĂ©sente. Certains agents postĂ©s aux carrefours font la circulation routière au sifflet. J’ai aperçu une femme policière. Concernant la conduite algĂ©roise, elle est un peu chaotique, mais pas pire qu’Ă  Marseille. Les algĂ©rois klaxonnent deux fois pour se signaler avant de doubler. Tout ça est finalement plutĂ´t calme. MĂŞme si quatre personnes le klaxonnent en tous sens, le chauffeur algĂ©rois stationnĂ© qui vous attend reste impĂ©nĂ©trable. Il n’y a pas de ceinture Ă  l’arrière et on perd vite l’habitude de la mettre. 
 
 
Toujours dans la casbah
 
Heetch et Yassir sont les applications algĂ©riennes Ă©quivalentes Ă  Uber, qui permettent de trouver un chauffeur rapidement, facilement et Ă  prix abordable. Nous nous en sommes beaucoup servi. Comme je ne parle pas arabe c'est surtout ma collègue qui Ă©change avec eux. Nous nous asseyons Ă  l'arrière, moi sur la droite. MĂŞme si je ne cause pas, je vois donc toujours une partie du visage des conducteurs, ses mains et la route. Ă€ Alger les chauffeur heetch, c'est plutĂ´t quelque chose de formel, sĂ©rieux. Les chauffeurs ne discutent pas, ne mettent pas de musique et font tranquillement leur job. Ă€ Oran, c’est une autre histoire. 
 
La gare d'Oran
 
Les chauffeurs ont souvent la vingtaine ou la trentaine, mettent rĂ©gulièrement leur musique favorite au bout de quelques secondes de trajet (style et volume variable : raĂŻ remixĂ©, Adèle, techno...), discutent plus facilement, ont le volant dans une main et le tĂ©lĂ©phone dans l'autre en grillant tranquillement les feux rouges. En dix minutes, un quart d'heure ou une heure, finalement c'est une rencontre : on est avec quelqu'un dont on a besoin et qui va plus ou moins nous marquer avec sa façon de parler, ses gestes, ses petites histoires ou son silence. Il y a celui que nous avons trouvĂ© deux fois, la trentaine, pantalon noir, mains fines, et qui Ă  la fin du deuxième trajet nous a dit Ă  la prochaine avec un sourire rayonnant (Ă©videmment Ă  partir de lĂ  nous ne le reverrons jamais, c'est la loi de ces rencontres de voyage furtives, et je le sais dĂ©jĂ  au moment oĂą je lui rĂ©ponds oui). Celui qui avait des cheveux noirs presque longs (ça n’existe quasiment pas ici), mains fines aussi, une montre dorĂ©e, et qui nous a mis des musiques mĂ©lancoliques qui m'ont foutu le cafard tout en s'aspergeant de parfum. Il y a le petit, châtain, petites mains, fort accent oranais que mĂŞme moi je pouvais percevoir, qui de fil en aiguille nous a montĂ© et redescendu de Santa Cruz et nous a attendu pendant nos visites. Il y a le Lyonnais d'Oran bien sĂ»r ! « Moi j'ai Ă©tĂ© 7 ans Ă  Lyon, j'ai deux gamins lĂ -bas. Mais j'ai fait une grosse bĂŞtise. Bon, on est arrivĂ©s sur la place d'armes. Alors la place ok, mais vous allez pas dans cette rue lĂ , car il y a des petits voleurs. » Puis celui qui Ă©tait francophone et parlait très bien français, et nous a expliquĂ© que sa famille venait de Mosta (Mostaganem), oĂą les gens Ă©taient plutĂ´t francophones, et que c'Ă©tait une jolie ville qu'il fallait aller visiter. Pour conclure sur les diffĂ©rences entre heetch Ă  Alger et heetch Ă  Oran, je dois dire qu'Ă  Alger nous sommes tombĂ©s deux fois sur des Ă©paves et que ce n'est pas arrivĂ© Ă  Oran : peugeot 206 Ă  travers laquelle on voit le jour par les joints des portes arrière, lĂ©gère comme une canette de coca, rafistolĂ©e au gros scotch marron...ou mĂŞme au petit scotch transparent. 
 
Miam !
 
 
Les plats que j’ai dĂ©couvert s’appellent le tlitli, les bourreck, les soupes kbeb et chorba, la rechta, la karantika, frite-omelette…il n’y a pas de dessert Ă  la fin des repas en dehors de quelques dattes ou des fraises. Au restaurant aussi, rien de plus sophistiquĂ© qu'un flan ou une orange. C'est une habitude qu'on prend rapidement et qui fait du bien (et qu’on perd aussi rapidement en revenant en France). Ă€ la maison, les biscuits sont servis plutĂ´t le matin ou avec le thĂ© dans l'après-midi, mais pas en fin de repas. Akima passe beaucoup de temps Ă  cuisiner et fait mĂŞme sa limonade, que j’adore. Les petites Ă©piceries qui restent ouvertes tard le soir sont juste en bas de la rue : je n’ose pas prendre de photos mais les montagnes d’Ă©pices qu’on y trouve en auraient valu la peine. Je suis assez perdue avec les dinars au dĂ©but. Il y a des pièces de 5, 10, 20, 50, 100, 200. Des billets de 500, 1000, 2000...plusieurs types de billets de 2000 circulent en mĂŞme temps (les anciens et les nouveaux, dont les couleurs sont diffĂ©rentes). Personne n'utilise la carte bancaire, tout se fait en espèces. Et enfin, les gens parlent souvent en « anciens franc » comme font nos grands parents français, c’est-Ă -dire disent 18000 dinars pour dire 180 dinars. Tout est beaucoup moins cher qu’en France...un repas sur le pouce dans une pâtisserie d’Oran, petite pizza, petit burger et flanc : 300 dinars, environ 2 euros.  
 
Chapelle de Santa Cruz Ă  Oran (Wahran)
 
La dĂ©couverte d’Oran me fait un choc culturel : c’est une ville Ă©clectique pleine de monde et de poussière oĂą nous passons tout de suite pour des touristes. Nous sommes Ă  l’hĂ´tel et n’avons plus la famille en point de repère rassurant. C’est justement dans cet hĂ´tel que je fais la rencontre fortuite du cafard oranais. Le cafard oranais est d’une taille impressionnante, mais beaucoup plus conciliant que son cousin français qui court comme un guĂ©pard, il se laisse abattre sans faire trop de difficultĂ©s. 
 
La cathédrale du Sacré-cœur d'Oran, transformée en bibliothèque
 
Nous faisons un tour au marchĂ© Mdina Jdina, emblĂ©matique d’Oran, oĂą je vois des citrons gros comme des patates. Je n’ose pas acheter les Ă©normes olives rouges qui me font envie du fait que je ne peux pas m’exprimer correctement. DĂ©jĂ  que je ne suis pas loquace dans ma langue natale...nous prenons en photo la grande synagogue d’Oran, oĂą un vieil homme nous invective en arabe (peut-ĂŞtre mĂ©content que nous portions de l’intĂ©rĂŞt Ă  un monument juif en pleine guerre israĂ©lo-palestinienne, je ne sais pas, je ne comprends rien de son charabia). Nous visitons l’arène d’Oran, la seule d’Afrique, monument qui possède une histoire riche et Ă©tonnante. Le responsable nous fait une visite guidĂ©e passionnĂ©e, nous accompagne pour acheter notre repas et nous fait monter dans le bon bus pour repartir. Dans le bus, c’est un homme accompagnant le conducteur qui passe parmi les passagers pour rĂ©colter la monnaie et indiquer aux gens qu’ils sont arrivĂ©s. Nous passons par l’inĂ©vitable fort et chapelle Santa Cruz. La cathĂ©drale du sacrĂ© cĹ“ur a Ă©tĂ© transformĂ©e en bibliothèque. Non loin de lĂ  nous passons du temps dans la boutique d’un bouquiniste qui nous met ses meilleures cassettes de raĂŻ. Tout le monde s’inquiète pour nous et nous met en garde contre « les petits voleurs » et les « voyous » mais finalement, on se demande oĂą ils sont ces fameux bandits, car on ne voit que les gens qui en parlent. Bon, je ne dis pas que c’est un monde parfait et formidable, c’est simplement mon expĂ©rience personnelle.  
 
Oran vers le départ du téléphérique
 
Par une vue de l'esprit paranoĂŻaque, certains en France s'inquiĂ©taient que les algĂ©riens m’en veuillent particulièrement en tant que française. En rĂ©alitĂ©, je suis loin de passer pour l'ennemi colonisateur, si bien qu’on s’adresse Ă  moi en arabe. Cette crainte vient Ă  mon avis du fait que les français s'imaginent les gens d'AlgĂ©rie très diffĂ©rents d'eux. Ă€ Alger, non, je ne suis pas une europĂ©enne parmi des peuplades exotiques...Une femme en pantalon et sans voile ne dĂ©tonne pas tellement, je passe pour locale. 
 
A Alger près de la Grande Poste.

De toute façon, les algĂ©riens semblent contents que des visiteurs français viennent dĂ©couvrir leur pays. « Soyez les bienvenues ! » nous disent les chauffeurs de taxi avec qui nous parlons, les employĂ©s des musĂ©es ou des parcs. Les gens sont simples, spontanĂ©s, partagent facilement leurs connaissances. Je comprends que les craintes sur ces barbares d’arabes sont Ă  cĂ´tĂ© de la plaque, et que ça nous arrange bien de penser que le mode de vie Ă©tranger est arriĂ©rĂ©e pour justifier plus facilement du notre, qui repose sur des valeurs opposĂ©es. La famille et la religion sont tout lĂ -bas, quand nous privilĂ©gions la libertĂ© avant tout en France.  
 
Seffa : le dernier plat d'Akima avant notre départ, semoule sucrée à la cannelle et aux fruits secs
 
En partant je suis heureuse de retrouver mon pays oĂą la vie est tellement plus facile : plus de libertĂ©, plus de confort, une tempĂ©rature plus clĂ©mente, la verdure luxuriante du Lot, une douceur de vivre incomparable. Certes, c’en est fini des pâtisseries orientales Ă  60 centimes et des dĂ©placement illimitĂ©s avec chauffeur. Fini Karim et Akima qui veillent sur moi, les plats maison tous les jours, l’aventure et l’inconnu Ă  chaque coin de rue. Mais quel soulagement tout de mĂŞme de retrouver son chez soi. Un mois plus tard cependant, je sais dĂ©jĂ  que je retournerai en AlgĂ©rie : je veux voir le dĂ©sert et aller plus loin dans la dĂ©couverte de ce grand pays...

 
 




Partie Pratique 
Quelques mots appris sur le tas !

 
Kifech n'goulou... : comment on dit...
Wech aenara : qu'est ce que ça veut dire
Wech rak : comment tu vas ?
Wech keyn : qu'est ce qu'il y a ?
Wasmek : comment tu t'appelles ?
Labess : ça va ?
Salam aleykoum - aleykoum salam : formules de salutation
Inchallah : ainsi soit-il (formule utilisée au quotidien comme nous utiliserions une formule de politesse)
Hamdoullah : merci seigneur (idem)

Saha : merci
Wein : oĂą ?
Chral : combien ?

Zarma : genre
Woa : oui
La : non
Bézeff : beaucoup
Kif kif : pareil/égal
TĂ´t : bekri


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