Gaston


Pépé Gaston ne m'a laissé qu'un souvenir, celui d'un grand-père immense avec un béret sur la tête et des yeux gris. Mais coup de chance, il reste aussi une vingtaine de lettres de guerre, qui, grâce à sa plume, ont encore le pouvoir de surprendre et faire rire plus de 70 ans après rédaction.

Je ne sais pas grand chose de son parcours en 39-45. Chez nous on dit qu'il se serait régulièrement caché du S.T.O en courant à travers champs et sautant dans un puits. Sa fille m'a même dit qu'il aurait fait de la résistance. Mais pas de preuves officielles. Cependant on trouvera ci-dessous quelques passages les plus frappants de sa correspondance avec sa mère, Eugénie, entre 1938 et 1940. Il est question du quotidien dans l'Infanterie, des copains et d'espoir.

Deuxième en partant de la droite, debout.


Vingt-quatre lettres et deux photos.

D'une calligraphie simple et enfantine, mais qui a l'immense mérite d'être toujours propre et parfaitement lisible, le jeune homme qu'il est en 1939 écrit à sa mère, Eugénie, veuve depuis la petite enfance de Gaston. 
Ce qui est formidable c'est qu'il ne se prive pas d'exprimer ses opinions sur l'armée, la guerre ou ses prétendantes, avec un déconcertant mélange d'humour, d'optimisme et de gravité. Lui même se demande comment ses lettres arrivent à destination avec tout ce qu'ils met dedans.
C'est peut-être aussi pour ça que si peu de lettres sont restées. 
Gaston sert le 152ème régiment d'Infanterie, basé à Colmar en Alsace, et surnommé les Diables Rouges par les Allemands depuis 1915.

En-tête d'une des lettres, à l’effigie des Diables Rouges

Le quotidien est fait essentiellement de longues marches, de neige et de températures négatives. Les gars de la piaule et lui-même comptent continuellement les jours qui les séparent de la prochaine perm', et dès que la perm' est terminée, le compte recommence. Une permission de minuit pour aller au cinéma est un évènement.

une écriture régulière, nette, propre et parfaitement lisible


Le tabac 

En janvier 1939, il annonce qu'il ne fume plus et explique : il y a une entente entre les gars de la piaule, si il y en a un qui me prend à fumer il faut que je paie un litre. J'ai déjà 15 paquets de cigarettes (possible allusion au tabac de troupe qui est distribué gratuitement aux soldats).

Les Vosges 

En mai, Gaston décrit les Vosges et se dit heureux d'avoir vu un si beau pays. Puis il détaille la visite du site d'une terrible bataille de la première guerre mondiale. Nous avons montés jusqu'à 1600 d'altitude, à La Tête des Faux. Il y a environ 10 000 tonnes de fer tordu, des fils barbelés, des obus de toutes sortes. Il y a environ 50 hectares sans un arbre, sans une herbe.

Hitler et l'utilité de savoir coudre 

En octobre de la même année le sergent demande si quelqu'un sait coudre et Gaston se manifeste. Il est envoyé auprès du maître tailleur pour repriser les fonds de pantalons, les chemises et les caleçons jusqu'à la prochaine arrivée d'effets neufs. Comme il le dit : pour une fois je suis tranquille, pour le travail mais pas pour les balles, enfin on ne peut pas demander tout à la fois.

10 octobre 1939 : Je suis toujours tranquille chez le tailleur, nous faisons le plus (moins) de boulot possible. Ce matin mon lieutenant m'a donné une boîte de cigares et 100 sous pour lui avoir lavé deux mouchoirs et une paire de bas et lui avoir raccommodé une autre paire. J'étais bien content et lui aussi, nous ne sommes pas mal tous les deux. Nous avons aussi su l'attentat contre Hitler mais ce fumier a encore été manqué, mais nous l'aurons un moment ou un autre...

Les colis

Il reçoit de nombreux colis de sa mère, ses tantes, les voisins, les amis : chaussettes, cache-nez, nourriture, gâteaux, petites bouteilles de cognac...et c'est bien beau de recevoir des colis, mais c'est pour les porter sur le dos. Quand tu penses que maintenant nous sommes obligés de tout porter, soit 45 kilos.
C'est pourquoi à un moment, il demande carrément à Eugénie de ne plus rien lui envoyer pour un temps.

Une autre en-tête de lettre spéciale Diables Rouges qui nous permet d'admirer la caserne de Colmar


Le froid et la chance

Le 26 décembre 1939 il fait un froid terrible, -28, le vin gèle dans les bidons. Le régiment qu'ils s'apprêtent à relever n'a eu que 10 morts pour un mois, ce n'est rien. Il faut avoir espoir et surtout un bon moral, c'est cela qui rend fort. 

Le 22 mai 1940 : Je ne peux te décrire les horreurs de la guerre mais je peux te dire que ce n'est pas beau, surtout pour celui qui se défend. Surtout ne vous faites pas de mauvais sang, il y a de la chance pour tout le monde, et d'après ce que j'ai vu et subi je suis du nombre de ceux-là.

28 mai 1940 : Hier nous avons eu un orage terrible mais cela vaut encore mieux qu'un orage d'obus ou de bombes, quoiqu'à présent cela ne nous fait plus rien nous n'y faisons même plus attention. Dans la ville où nous sommes il ne reste plus que des cendres des maisons.

L'ennemi et l'hygiène

29 mai 1940 : Je viens t'écrire ces quelques mots entre deux gardes à quelques mètres seulement des boches. Ce ne sont pas de mauvais garçons sauf lorsqu'ils ne sont pas contents de nous, cela arrive d'ailleurs assez souvent. Mais devant eux ils n'ont pas des manchots et lorsqu'ils nous envoient des pruneaux on ne perd pas notre temps à planter les choux, ce n'est que prêté pour rendu (...). Nous sommes de vrais cochons, pantalons capotes déchirées pleines de boue c'est affreux. Plusieurs compagnies sont mangées de poux. Je ne sais pas si nous sommes des soldats ou bien des morts déterrés d'hier, j'espère pourtant que bientôt nous pourrons changer tout ce linge et revivre un peu  car pour le moment nous sommes moins que des bêtes.


Les filles

Je vois que mademoiselle C. a beaucoup de prétention la pauvre petite, c'est vrai qu'il y en a beaucoup comme elle.

Sinon pas de nouvelle de la M., inconnue au bataillon, une de moins pour le moment...

Tu me fais bien rire Maman à me dire laquelle je dois laisser de ces braves filles...je crois que je suis bien assez sérieux...

La B. est venue me chercher à la gare avec 6 paquets de cigarettes et beaucoup de promesses.

Pour cette dernière, il s'agit de sa future femme.


Julienne B., l'épouse de Gaston


Comme il l'avait prédit, Gaston a eu de la chance et une longue vie. Son épouse et lui ont eu 4 enfants, 7 petits enfants et 9 arrières petits enfants...le jeune homme ne s'épanche pas dans ses lettres, mais ne cherche pas à cacher sa pensée non plus. Le recul qu'il parvient à garder sur sa situation prouve à mon avis une certaine force de caractère.

Gaston dans son uniforme


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