Septembre 2022 : seule à Saint-Malo par le train
Mercredi 14
septembre
J’entends le train siffler en arrivant sur le quai. Oui, c’était bien le mien, qui vient de partir.
Quarante euros et une heure plus tard, le train suivant s’élance, et cette fois je suis bien à l’intérieur. J’ai aussi gagné, en plus du changement de gare à Paris, une correspondance à prendre en dix minutes à Rennes. Je n’ai pas mangé avant de partir et ne mangerai pas de la journée.
Arrivée à Austerlitz, je traîne ma valise en 50 minutes assez laborieuses jusqu’à Montparnasse. La gare de Montparnasse ressemble pour moi en cet instant à l’enfer ; un gigantesque centre commercial avec de ci de là derrière la foule, quelques quais et des trains. Quant à la gare de Rennes je ne peux pas en témoigner vu que j’ai juste eu le temps de sortir de mon train, me jeter sur celui qui attend sur le quai indiqué, comprendre qu’il ne va pas à Saint-Malo, en ressortir et sauter dans le train stationné derrière sur indication d’un agent SNCF à la physionomie de morse. Environ 10 secondes plus tard les portes se referment et nous partons. Il se met à pleuvoir.
Enfin, arrivée inespérée à Saint-Malo...déjà, le cri des mouettes, qui résonne haut dans le ciel bleu ! Dès les premiers pas place de la gare je me sens heureuse, libre.
Je passe rapidement sur ce bus que je prends pour aller au camping...dans le mauvais sens, puis l’autre...que je rate pendant un appel à mes hôtes pour les prévenir de mon retard.
Arrivée à ma caravane près de la Tour Solidor, installation. Hôtes très sympas.
Je ressors en quête d’un repas, marche cinq ou dix minutes, m’arrête dans une crêperie bondée près de la mer. À jeun depuis la veille au soir, rien à faire de m’attabler seule ! La crêpe complète cuite au beurre ressemble à de la dentelle brune croustillante à souhait. Derrière moi, on fait flamber une crêpe aux pommes et au calva, l’odeur est un délice.
Jeudi 15 septembre
Levée à 7h30, dehors avec mon appareil photo à 7h45. Je passe la journée à arpenter Saint-Malo intra-muros en long, en large et en travers. Il y a trop de choses à voir, à goûter. À 10h je vadrouille déjà depuis 2h et m’arrête à « La Bougeotte » pour grignoter quelque chose. C’est un petit restaurant avec de petites tables, mais des muffins géants. Tout est maison. Mon muffin chocolat poire a de véritables et généreux morceaux de poire rectangulaires et du chocolat noir chaud et fondant à l’intérieur. Je le fais glisser avec un jus d’orange pressé, moi qui ne le suis pas. La jeune femme qui me sert est très sympathique tout en étant discrète, et je reviendrai plusieurs fois au cours de mon séjour. Le dernier jour, son « à bientôt » me fait un pincement au cœur.
Je fais le tour des remparts, réserve ma place pour une balade en bateau l’après-midi. Nous passons devant Dinard et allons jusqu’au cap Fréhel. J’ai le mal de mer. Quand la casquette d’une vieille femme s’envole pour atterrir dans l’eau, elle interpelle un homme sec comme un coup de trique en t-shirt bleu marine qui se tient debout dans les escaliers donnant au deuxième niveau :
- J’ai perdu ma casquette ! J’ai perdu ma casquette !
- Et ?
Il ne travaillait pas sur le bateau.
Quant à moi j’ai eu le mal de mer pendant les trois quart du voyage.
De retour sur terre il me faut un petit remontant pour me remettre. J’arrive chez Captain’Ice pour une crêpe au chocolat maison et mon cœur fait un bond pour le vendeur au moment où il me la tend par dessus le comptoir dans une assiette en carton. Il me semble qu’il avait les cheveux châtains bouclés et de beaux yeux. Il n’était pas très grand. Je reviendrai (tout à fait innocemment) chez ce glacier le lendemain et le surlendemain, mais ne le reverrai pas. Cependant c’est une petite dame très sympathique qui me fera découvrir les glaces parfum chocotine et délice Malouin, ce qui n’est pas mal non plus.
J’ai l’impression que les hommes ici n’ont pas la même attitude, qu’ils sont un peu plus discrets. Ce qui est moins drôle mais doit laisser plus de place à l’imagination.
Vendredi 16 septembre
La veille au soir, dès que je fermais les yeux, je voyais danser sur mes paupières les motifs que forme l’écume lorsque la mer vient s’échouer entre les rochers. Je me lève un peu plus tard qu’hier, habitée par une certaine flemme. J’arrive tout de même au marché de Saint-Servan et un far breton croise ma route sous les Halles. C’est la fin du voyage pour lui. Il était frais, crémeux, savoureux...paix à son âme. Après un saut dans le bus me voilà à nouveau à Saint-Malo intra-muros. Nouveau marché sous les halles. Je discute cette fois avec une photographe qui fait de magnifiques photos d’oiseaux dont on peut voir la moindre plume, notamment un bruant zizi en train de chanter. Elle me recommande de prendre le bus numéro 6 pour me rendre à la Pointe de la Varde. Je note. Je ne sais pas que ce sera pour le prochain voyage, en janvier.
À midi je retourne chez Bougeotte manger des lasagnes aux légumes. Puis je fais un tour chez Captain’Ice…
L’après-midi j’ai prévu de visiter une demeure d’armateur, la seule épargnée par les bombardements de la seconde guerre mondiale. En attendant je vais me tremper les pieds sur la plage de la Môle. Puis je traîne dans une librairie, une boutique d’artisans...je garde de la visite de la demeure de Saint-Malo l’image de ces 24 mastiffs affamés et lâchés au soir dans la ville pour garder les bateaux échoués sur la plage. Le souvenir également de ces armateurs immensément riches qui détenaient 10 % du PIB de la France, de ces marins partis pour deux ans, quatre ans, en espérant revenir fortunés s’ils survivent au scorbut, à la fortune de mer, éventuellement aux ennemis...
Samedi 17 septembre
Dernier jour, déjà. Je ressens malgré moi une certaine tristesse. Je mets un bon moment à décoller de ma caravane ce matin là. Après la petite marche à jeun pour aller intra-muros, j’arrive juste pour chercher à manger. Il est vrai que ces vacances sont mi-touristiques, mi-gastronomiques. Quand je marche, j’ai plus d’appétit et je ne me soucie pas d’éviter la crème ou le beurre.
Bon, ce jour là ma crêpe complète n’est pas dingue, mais au moins, pas chère. Le serveur semble étonné quand je lui dit que je ne veux que de l’eau avec, et ce n’est pas la première fois que j’ai l’impression de voir cette réaction ici...
L’après-midi sur les quais, je tombe sur des animations. Il y a en particulier le stand d’une association locale, ADER Saint-Malo, où ça joue de la musique. C’est un vieil homme dont les mèches de cheveux éparses volent au vent qui joue bravement de l’accordéon assis sur une chaise, et à ses côtés son compagnon, plus jeune, petit, rond et avenant, tient la bombarde, un instrument dont les mélodies m’émeuvent inexplicablement. Ça commence à danser un peu. Les spectateurs sont invités à se joindre à la ronde en échange d’une surprise. Une dame un peu forte dans une longue robe longue noire, grand chapeau également noir sur la tête, se lance. Une autre, toute petite, plante là son mari pour y aller aussi. La danse se termine sous les applaudissement. La petite dame explique être originaire de Bretagne et partie depuis quelques années sur Paris. L’animateur déplore bruyamment son choix, mais elle remporte tout de même un t-shirt aux couleurs de l’association.
Il y a aussi des démonstrations de guénolé (façon de conduire le Doris, bateau traditionnel, en faisant des huit avec une seule rame à la proue).
L’un des marins, extrêmement habile dans cette technique particulière, porte un tricorne éculé largement centenaire, d’après la légende. Il est tellement mince des jambes et de la taille que depuis le quai sur lequel je suis assise, jambes ballant dans le vide, sa silhouette me fait douter un instant de son sexe, au premier abord, et puis il faut dire que ses cheveux bruns gris lui tombent sur les épaules. Mais le présentateur au micro nous le présente comme s’appelant Yves, ou Yann, ou Jean-Yves, ou Jean-Yann…et nous invite à faire un tour de guénolé avec lui.
Je m’attarde un bon moment mais ne reste pas pour la démonstration de découpage de morue...
J’ai dans le sac à dos le livre acheté hier à la librairie, je vais m’installer sur la plage avec. Je contemple la mer, ébahie : il y a quelque chose d’incongru à me retrouver là. Ce bleu éclatant, ces voiliers me paraissent surréalistes. Il faut que j’aille chercher un Kouign Amann à ramener et de quoi manger demain pendant le voyage retour.
Lorsque je repasse sur le quai, des hommes en ciré jaune intégral sont en train de découper des morues. À ma surprise, il y a beaucoup plus de spectateurs que pour la danse.
Un far breton et deux pommes me servent de souper.
La Bretagne, la mer et la liberté, mais quel bijou. Je reviens la tête farcie de chansons de Tri Yann.
A bientôt la Bretagne !
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