Verlaine, Henri Troyat
Dernière lecture en lien avec Rimbaud...terminée sur une plage déserte !
Ce récit montre d'abord l'ambivalence de Verlaine, constamment tiraillé.
Tiraillé entre la confort bourgeois et la révolte, entre les attentes de sa famille et son envie de liberté, entre Mathilde et Rimbaud, ses vices et sa foi chrétienne...
C'est un homme d'un caractère souvent peu courageux (envoie sa femme de 16 ans aller chercher sa mère dans Paris en pleine émeute tandis qu'il se terre chez lui...fuit les responsabilités de toutes sortes qu'il s'est créées lui-même : emploi, mariage, paternité...).
Et surtout, gros problème...l'alcool transforme ce camarade aimable, drôle et doux en un personnage brutal et grossier capable de tenter de vous étrangler. Il y a quand même avec la distance des siècles (et le fait de ne pas avoir eu à le subir ivre de son vivant), quelque chose d'attachant, ou de touchant, chez cet homme plein de faiblesses. Victime essentiellement de lui même, de son indécision et de ses illusions, de ses choix catastrophiques dictés par sa sensibilité, son indolence, sa naïveté, grand chef d'orchestre de sa propre chute, mais personnage sensible, et dont l'auto-dérision confine souvent au comique ("Cher ami, je vais me crever.")
Il faut avouer aussi que son temps a fait durement payer à Verlaine ses relations avec des hommes. Alors qu'il est imbibé comme une éponge, un jour de juillet 1873 en Belgique, son coup de revolver dans le poignet de Rimbaud lui vaut une condamnation à deux ans de prison.
Est ce que si l'objet de son désespoir avait été une femme, la sentence aurait été la même ? Le juge s'intéressa de (très) près à la nature de sa relation avec Rimbaud. Cette histoire le poursuivra toute sa vie, le monde littéraire lui tournant le dos. Elle l'empêche aussi probablement d'obtenir à nouveau un emploi dans l'administration française des années plus tard (bon, en dehors de ses petits soucis privés, il faut admettre que Verlaine n'était pas un employé de bureau modèle dans sa jeunesse, lui qui passait surtout son temps de travail à écrire des vers...)
Malgré la dégringolade au plus bas dans laquelle il tombe (souvent précipitée par les deuils de ceux qu'il aime : Elisa, son premier amour, Lucien Létinois, sa mère, Rimb...), il ne cesse jamais d'écrire, de créer, d'inventer sur tous les tons.
Henri Troyat ne porte pas de jugement mais explicite avec justesse et sans pitié les motivations et pensées parfois (souvent ?) peu reluisantes de Verlaine et Rimbaud.
Son écriture merveilleuse et fluide donne l'impression d'un récit jour par jour qui emporte le lecteur dans le torrent de cette vie incroyable.
Rimbaud quant à lui est vu débarquant à Paris par les yeux des Parnassiens et de l'entourage de Verlaine. On en a donc ici l'image d'un jeune garçon plus dur, plus fort, plus inflexible que dans les biographies de Lefrere et Petitfils qui explorent le point de vu du jeune Arthur à la lumière de son enfance et de sa correspondance.
Mais ce côté dur était sans doute une facette du personnage.
Tous deux ont eu à pâtir de leur éducation, mais celle de Verlaine semble avoir fait des ravages supérieurs. Sa mère qui ne pouvait lui résister, lui cédait et lui pardonnait tout, a laissé Verlaine sans défense contre sa faiblesse et ses excès. Celle de Rimbaud en revanche, bien que froide et inflexible, lui a au moins permis de se sentir responsable de lui même, indépendant et plus armé dans la vie.
En tout cas relire pour la troisième fois la même histoire sous une autre couture me fait l'effet de plonger dans le même univers renouvelé chaque fois. C'est incroyable.
Enfin, ce livre permet de découvrir un peu la poésie de Verlaine (malheureusement pour moi elle ne me touche jamais).
Enfin dernier point intriguant, les contemporains de Verlaine insistent sur sa laideur voire la difformité de son visage. Quand on regarde les photos aujourd'hui on voit un physique certes particulier mais pas non plus hideux. C'est le même paradoxe esthétique du 19ème qu'avec la comtesse Castiglione, dans le sens inverse : célébrée comme la femme la plus belle de son siècle, les photos d'elles qui nous sont parvenues montrent une femme assez commune en dehors de son regard clair, et l'on ne discerne plus, à travers le temps, l'extraordinaire que voyaient ses contemporains en elle...Le temps efface parfois les apparences pour mettre en lumière des contrastes plus complexes.
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