Madame Saint-Clair - Raphaël Confiant
Martinique - Histoire vraie - Années 20 - New-York
C'est l'histoire vraie d'une jeune Martiniquaise nommée Stéphanie Saint-Clair, qui va débarquer à New-York dans les années 20, totalement seule et sans ressources...et qui deviendra en quelques années chef de gang à Harlem.
Qu'est-ce que la lecture d'un auteur Martiniquais peut avoir de différent de celle d'un auteur de l'hexagone ? Le sujet, le lieu, les problématiques abordées ne sont pas france-métropolitainocentré (oui ce mot n'existe pas). L'auteur ouvre une fenêtre sur l'histoire, l'identité, les souffrances d'un autre territoire, en général assez mal connu des français de métropole je pense. Ce livre foisonne aussi de tournures et d'expressions créoles.
C'est donc l'occasion d'en apprendre plus sur la Martinique. Et les quartiers chauds de New-York au moment de la prohibition. Quelques faits intéressants qui me feront me coucher moins bête :
- on connaît tous l'éruption du Vésuve qui a rasé Pompéi, mais savez-vous qu'en 1902 l'éruption de la montagne Pelée a rasé la ville de Saint-Pierre et tué 28 000 personnes ?
- la hiérarchie sociale impitoyable qui semble régner à la Martinique au moment du roman épouse une nomenclature précise des nuances de couleurs de peau : noir, mulâtre, câpre, béké...nuances inconnues en France métropolitaine ou à New-York où Stéphanie débarque, et où elle est seulement "une noire qui parle français."
Stéphanie prend de pleine face les différences de fonctionnement entre la société Martiniquaise et Américaine. Ce livre soulève plusieurs questions d'identité intéressantes. Par exemple sur son île, elle ne s'est jamais sentie totalement Française, car la métropole lui paraissait une sorte de grand rêve lointain. Aux États-Unis en revanche elle est perçue comme française car peu de gens connaissent la Martinique et personne ne reconnaît un accent créole, ni même ne sait que le créole est différent du français. Stéphanie ne se sent donc vraiment française...qu'une fois qu'elle est expatriée à New-York. Ce n'est sans doute pas la seule expatriée à qui s'est arrivé.
Aux États-Unis, la ségrégation est encore en place et la rivalité entre les gangs de différentes communautés (italienne, juive, irlandaise, noire, WASP...) est impitoyable. Stéphanie est victime du racisme ordinaire des blancs mais aussi de certains noirs (ah oui, elle vit aussi l'apogée du Klan...cette abomination de Klu Klux Klan). A part ça, son accent français lui attire cependant souvent la sympathie et l'indulgence des gens car il est associé à un certain prestige ou un certain charme.
Au sujet de la prohibition, une hypothèse émise dans ce livre est que son but était de saper l'influence de la communauté germanique super-puissante qui détenait les brasseries. La version officielle est qu'elle visait à réduire les problèmes sociaux et la corruption. Plusieurs intérêts étaient sans doute mêlés, comme souvent, le principal étant économique, comme souvent...en tout cas l'expérience n'a pas été un franc succès. La contrebande se développe immédiatement et Stéphanie en profite pour vivre.
J'ai trouvé le début de ce livre captivant, puis à partir de la moitié la lecture devient de plus en plus compliquée à maintenir en raison des redites. L'histoire de ce personnage exceptionnel mérite tout de même d'être connue.
Ce qui est drôle c'est que sa vie est aujourd'hui souvent décrite sur un ton admiratif : Stéphanie est vue comme un modèle de réussite. Alors que la réussite dans le milieu sordide des gangs implique forcément une personnalité violente et impitoyable et des actions peu reluisantes (vendre sous le manteau un médicament qui rend paralytique, gruger, arnaquer, tuer, éborgner etc). Des actions qui ne sont par trop celles qu'on prône habituellement pour réussir.
Mais loin de moi l'idée de jeter la pierre à Stéphanie. Quel autre choix avait-elle pour réaliser son rêve
de richesse et de pouvoir ? D'après ce livre, et on peut
raisonnablement y croire, une femme noire et pauvre à Harlem en 1920
n'avait pas de moyen légal de devenir riche et puissante tout en restant
indépendante. Stéphanie Saint-Clair n'avait reçu que 5 ans
d'instruction.
Parcours donc incroyable, exceptionnel. Elle a
survécu à toutes les difficultés et aux pires traumatismes (mépris de
classe, racisme, isolement, misère, violences, viols, 10 ans de prison,
la liste est longue...). La carapace devait être plus qu'épaisse. Stéphanie est
présentée comme plaçant son indépendance au dessus de tout. Le passage
où elle raconte l'amant de Marseille avec qui elle est heureuse quelques
semaines mais qu'elle abandonne sans prévenir pour son avenir en
Amérique m'a touché.
A noter, pour la partie du récit en Martinique, la présence de quelques éléments fantastiques étonnants (incubes, sorcière qui enlève sa tête comme on ôte un chapeau...).
"Certes, je n'ignorais pas que nul être sur terre n'est indispensable et que l'on se remet des plus grands chagrins avec le temps. Que tout mal a son remède. Que le remède ultime n'est autre que la mort. Je sus tous cela dès ma plus tendre enfance sans que personne me l'eût enseigné. D'y être moi-même confrontée s'agissant de l'amour charnel et cela pour la première fois de ma vie, me fit prendre une décision radicale. Un après-midi, je prétextai devoir me rendre en ville pour acheter des provisions, tâche que d'habitude nous accomplissions ensemble, notre plage n'étant éloignée du Vieux-Port que de quatre ou cinq kilomètres. (...) Roberto ne se douta de rien. Il déclara qu'il profiterait de mon absence pour aller pêcher dans une calanque toute proche. Dans mon sac, j'avais rangé, à son insu, quelques vêtements ainsi que mon passeport. Je ne voulus pas l'embrasser une dernière fois, me contentant d'un simple "A tout à l'heure, chéri !" auquel il répondit par un sourire. Je me précipitai sur le port et demandai le premier navire en partance pour n'importe où. On me rit au nez ! Il y avait des formalités à remplir quelle que soit la destination et je ne pourrais, au mieux, voyager que le surlendemain. (...) Au jour dit, je courus au port, traversant la fameuse rue tortueuse et étroite où Roberto m'avait courtisée. Il s'y trouvait ! Adossé à un mur, jouant tranquillement de la guitare, son chapeau posé devant lui (...). Impossible pour moi de rebrousser chemin ! Je fonçai droit devant moi, ne regardant ni à gauche ni à droite, effrayée à la seule idée que Roberto pourrait s'agripper à moi. Il n'en fit rien ! Au contraire, d'une voie barrée, il me lança :
_ Bon voyage ma belle ! Le Virginie est un excellent navire..."
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