Honoré


une rue de La Châtre aujourd'hui

La Châtre, Indre, 1939

Honoré Alexandre Herault a 31 ans. Il a épousé Marie-Louise il y a un deux années et est père de 2 garçons : Jacques, 2 ans, et André, 4 mois. Il vit dans une petite ville de l'Indre, La Châtre, entouré d'une famille plutôt soudée. Ses parents sont encore là et il a aussi au moins un cousin, Gabriel, qui a d'ailleurs épousé la sœur de Marie-Louise.

1939, Marie-Louise et son deuxième garçon André, dit le petit Dédé

Honoré a fait son service il y a une dizaine d'années en Algérie mais malheureusement malgré son tempérament paisible, il est loin d'en avoir fini avec la vie militaire. Nous sommes en 1939. La mobilisation générale a lieu le samedi 2 septembre et concerne tous les hommes valides de 20 à 48 ans. Il quitte donc sa femme et ses garçons. Sa brigade est constituée à Angers le 13 septembre 1939. 

Il est d'abord dans les Dragons Portés, une unité assez méconnue. Comme son nom l'indique il s'agirait de soldats "portés" sur des chars, dans des automitrailleuses et autres joyeusetés de ce style (on ignore si ça lui convenait). Il rejoint un secteur en Seine-et-Marne (à l'est de Paris) et le poste de commandement est établit dans le village de Saint-Fiacre. Les papiers officiels indiquent qu'il est cultivateur dans le civil. Si ça ne lui a pas permis de faire des voyages, ce métier va en revanche lui rendre service au cours de la guerre.

décembre 1939 : "mauvais état général"
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Mais pour le moment, la conflit a commencé depuis 2 mois, et d'après le certificat de visite complété par un médecin dont l'optimisme n'est pas la principale qualité, Honoré est déjà en "mauvais état général" le 8 décembre. Le docteur ajoute que le patient se maintient à 37°9 depuis plusieurs jours et souffre d'une toux "opiniâtre et rebelle". Honoré est évacué dans un hôpital à 30 kilomètres du village et obtient 12 jours de convalescence.   

Deux mois plus tard à La Châtre, c'est son dernier fils, André, qui souffre à son tour de la toux. Lui, n'y survivra pas. Il décède du croup à 9 mois, le 4 février. On ignore quand ou dans quelles circonstances Honoré l'apprend, probablement par un courrier de Marie-Louise.
10 mars 1940, Honoré et son fils ainé ensembles pour la dernière fois avant 1945

Peu après, le dimanche 10 mars 1940, des photos montrent Honoré entouré de sa famille, probablement en permission. C'est peut-être ce jour là que Jacques, son fils aîné, voit son père pour la dernière fois avant d'avoir 8 ans. En effet de retour aux armées, les choses vont bientôt se gâter pour Honoré.
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char Hotchkiss, modèle utilisé par l'unité d'Honoré
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Les Dragons Portés ont été dissouts, il est incorporé aux Divisions Légères de Cavalerie. Il s'agit toujours, grosso modo, de se déplacer dans des véhicules motorisés et/ou blindés. La division d'Honoré a utilisé entre autres des chars d'assaut Hotchkiss modèle 35 et 39 d'une dizaine de tonnes. 

Fini la relative "tranquillité" en Seine-et-Marne, Honoré est dorénavant beaucoup plus exposé : il participe à la Campagne de Belgique, c'est-à-dire la tentative d'invasion de la Belgique par les allemands. La Belgique capitule le 28 mai, mais il n'aura pas l'occasion de voir cela de ses propres yeux. 

En effet le 16 mai 1940 Honoré est fait prisonnier par les allemands dans une ville nommée Beaumont.

Peut-être n'avez-vous jamais entendu parler des camps de prisonniers du IIIème Reich. Ils étaient environ 75 en Allemagne. Les officiers séjournaient dans des Oflags, le reste du commun des mortels dans des Stalags. La vie y était dure. Dès leur capture en Belgique, Honoré et ses camarades doivent rejoindre l'Allemagne au plus vite. D'interminables files de captifs se traînent donc à pieds pendant 12 jours sans nourriture. J'ai bien dit 12 jours. Sans nourriture. On se déleste au maximum, on abandonne tout ce qui pèse sur le bord des chemins.
Certains n'y survivront pas. Ceux qui traînent la patte peuvent être exécutés. 

Dans ces conditions, on peut comprendre que l'arrivée au Stalag soit vécue quasi comme un soulagement par les nouveaux captifs. Pourtant avec ses barbelés, ses miradors, et la forêt qui l'entoure, le Stalag VIII C, dit "camp de Sagan", ne devait guère réjouir les yeux quand Honoré y parvient enfin.
Le camp occupe 48 hectares et verra passer des milliers de prisonniers.

2 publications de l'époque sur les camps de prisonniers


Ils souffrent de la faim et de malnutrition en permanence, le travail est harassant, l'hiver glacial (jusqu'à 30 degrés en dessous de zéro). Chacun porte une plaque avec un numéro d'immatriculation, et les crânes ont été rasés à l'arrivée pour lutter contre les poux. Ils vivent dans des chambres d'une douzaine de lits superposés et la journée est réglée invariablement : 4h30, réveil, 6h, "café", de 7h à 9h, rassemblement pour l'appel, 12h, distribution de la "soupe"...
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Verso d'une photo envoyée à Honoré pendant sa détention


Grâce à ses compétences agricoles, Honoré est envoyé dans un Kommando (un détachement de travail) à la campagne, dans une ferme. Il évite ainsi le job de couvreur, directement exposé aux bombardements, le travail à la mine, ou encore l'usine d'armement.
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Son Kommando est le n°86. Il est situé à Oyas (actuel village de Gniewomierz en Pologne).

Honoré serait le troisième homme en partant de la droite, avec la moustache. A gauche, on peut voir une pancarte qui porte l'inscription "Oyas".


Les années passent. Certains prisonniers obtiennent leur libération, des milliers d'autres meurent en détention et sont enterrés dans un charnier à l'extérieur du camp. En janvier 1945, devant la progression des soviétiques, les allemands décident d'évacuer le camp et entraînent tous les détenus dans une longue et épuisante marche forcée. 

Mais Honoré n'en est pas. Dans son Kommando de campagne, avec ses petits camarades, ils doit rentrer clandestinement par ses propres moyens. Il quitte le village d'Oyas en espérant rejoindre la France à pieds avec 4 autres français de son Kommando et une femme polonaise (cette jeune femme travaillait également à la ferme, et elle part avec l'un des français. Ils se marieront en France). On suppose qu'ils passent par la Basse-Silésie, ils arrivent à la frontière polonaise, puis ils traversent la Tchéquie. Tout ça se fait évidemment avec la présence des allemands et des russes. En Tchéquie malgré les risques, une famille du village de Nova Paka leur vient en aide. Ils les cachent dans les ruines d'un fort et les nourrissent. Le père de famille était pharmacien et francophile. Il a une fille, qui fait signer à Honoré et ses 5 camarades son carnet personnel avant qu'ils ne repartent.

Signatures et adresses des anciens captifs en route vers la liberté ainsi que de la jeune femme polonaise.


Un document du Ministères des prisonniers, déportés et réfugiés de guerre atteste qu'Honoré est de retour à Châteauroux le 21 mai 1945.

Ses parents sont décédés pendant sa détention.
Il a du travail dans une scierie du coin.
Et retrouve enfin sa famille après 5 ans d'absence.
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Marie-Louise et Jacques vers 1945
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Chapitre 3 : Qui étaient les ancêtres d'Honoré ?

Commentaires

  1. super travail de mémoire, j'aimerai suivre votre exemple pour retracer le parcours de mon père, lui aussi 5 ans prisonnier au stgalag IX A. Félicitations, j'aime beaucoup.

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    1. Merci beaucoup ! Il n'y a qu'à se lancer ! :) Si vous publiez quelque chose sur le parcours de votre père n'hésitez pas à me communiquer le lien.

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